Qu’on décide de tout sacrifier pour satisfaire les victimes présumées, ou qu’on s’engage encore dans le même processus de la justice transitionnelle sans en avoir les moyens et avec tout ce qui se greffera sur des opérations hasardeuses, cela tient de l’imprévoyance, voire de l’irresponsabilité.
Comment accorder encore de la crédibilité à ceux qui, pendant plus d’une décennie, avaient impunément participé au dépouille – ment de l’Etat, à son appauvrissement, voire à sa faillite ?
Pour la plupart des Tunisiens, ce que l’argent dépensé pour les dédommagements des « victimes du despotisme », ce qu’il avait coûté aux contribuables, tient de l’invraisemblable. Un lot de non-dits de dépassements sans égal. Une posture pas digne de ceux à qui ils avaient pourtant consenti, au lendemain de la révolution, une confiance inconditionnelle.
Mais pour les observateurs avertis, tout ce qui a été conspiré et comploté était au fait trop apparent pour ne pas être visible. Emportés par l’ivresse du pouvoir, les sans-gênes avaient raflé tout ce qui se présentait sur leur chemin. C’était à qui en profiterait le plus et plus vite. C’était aussi l’occasion rêvée à l’effet de spéculer sur les valeurs et les droits humains. S’en servir et en tirer parti jusqu’au bout et sans le moindre scrupule.
Des arguments insidieux sans vergogne
Le plus grave n’est pas seulement là. Toujours sur fond de légitimation des réparations, on continue encore et toujours de demander des indemnisations pour au moins 30.000 présumées victimes. Les montants exigés s’élève – raient jusqu’à 3.000 milliards de nos millimes. Dans une ambiance morose, avec toujours plus d’animosité et de rancune, les instigateurs de pareilles doléances n’hésitent pas à distiller des arguments insidieux sans vergogne. Objectif : continuer à ramasser le pactole, sans répit.
Il s’agit à n’en point douter de nouveaux dépassements qui plongeront encore le pays dans plus de marasme et de dettes. Les décideurs de l’époque ont tout simplement légué à leurs successeurs une ardoise salée et une situation financière inégable.
Finalement, la Tunisie en aura-telle jamais fini avec les dédommagements des « victimes du despotisme » ? Avec quoi va-t-elle les indemniser ? Devra-t-elle encore en payer les frais ?
Qu’on décide de tout sacrifier pour satisfaire les victimes présumées, ou qu’on s’engage encore dans le même processus de la justice transitionnelle sans en avoir les moyens et avec tout ce qui se greffera sur des opérations hasardeuses, cela tient de l’imprévoyance, voire de l’irresponsabilité.
De l’irresponsabilité, parce qu’à défaut de vérité vraiment convaincante dans le parcours de ceux qui affirment avoir été à la fois opposants et victimes de l’ancien régime, une pareille erreur d’appréciation obligera les Tunisiens à en payer le prix cher tôt ou tard.
De l’imprévoyance, parce qu’un pays qui possède un socle institutionnel et des institutions solides repère vite et facilement ceux qui lui avaient fait du bien et ceux qui lui avaient porté préjudice.
La patience est une vertu, mais elle a ses limites. Beaucoup d’interrogations, de manquements, de défaillances et de zones d’ombre tournent autour de ce qu’on avait convenu comme étant le processus de la justice transitionnelle.
Il est reconnu aujourd’hui que l’horloge de la révolution avait tourné à l’envers. Les dédommagements dont plusieurs personnes avaient bénéficié, sur fond de desseins inavoués, mais qui ne peuvent plus échapper à per – sonne, ont ruiné les caisses de l’Etat et l’avaient induit dans l’impasse.
Au bout du compte, tout le processus de la justice transitionnelle avait moins inspiré le sens du devoir et de l’exemplarité que celui de l’irresponsabilité, de l’inconscience et de l’insouciance.